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Les auteurs anciens sont nombreux à souligner la double vocation de Délos, sanctuaire et place de commerce. Pausanias fait de cette ville sainte "l'emporion commun de la Grèce". Strabon rapporte un proverbe : le marchand n'a pas grand mal à faire fortune dans l'île, il lui suffit d'y débarquer.
Comme Simone de Beauvoir en séjour à Délos avant-guerre, chacun imagine découvrir "un port avec ses magasins, ses entrepôts, ses échoppes, ses boîtes à matelots". Mais le visiteur risque d'être déçu. Accostant sur un môle constitué par les déblais de la "grande fouille", il ne peut apercevoir les limites du bassin qui borde à l'Ouest le sanctuaire et que l'on appelle traditionnellement le Port sacré. Il s'en représente mal les quais, en partie enfouis, recouverts par une couche de ciment moderne ou submergés. Il a le plus souvent souffert d'une mer balayée par le meltem - ce vent du Nord qui souffle en été sur l'Égée et rend la navigation plus risquée - et s'étonne qu'un abri aussi inhospitalier, aussi difficile d'accès, ait pu être un grand centre commercial.
Le touriste se rassure avec une formule magique : Délos était un port franc. Ce statut remonte à la fin de 167 ou au début de 166 avant J.-C., lorsque les sénateurs romains accordèrent à l'île d'Apollon, confiée à l'administration athénienne, un régime d'immunité fiscale, du reste mal connu. De quoi exciter l'imagination et faire rêver d'une succession de quais.
I. L'ÉQUIPEMENT : LE PORT, LES MAGASINS, LES BOUTIQUES
Ces quais, on les chercha dès 1894 : Émile Ardaillon dégagea cet été-là près d'un kilomètre de rivage. D'autres explorations suivirent. Celle de Johannès Pâris, décisive, fut suspendue par la Première Guerre mondiale où il trouva la mort. De ces travaux menés de concert avec le géologue Lucien Cayeux, il ressort que la ligne de rivage connut de profondes modifications dès l'Antiquité. Les Déliens ont ainsi gagné sur la mer au moment de la construction du Portique de Philippe V de Macédoine. Ils ont aménagé et unifié la ligne des quais au Sud de la Pointe des pilastres. Depuis l'époque hellénistique, l'élévation relative du niveau marin est d'autre part manifeste. Au Nord du Port sacré, plusieurs structures antiques sont aujourd'hui à près d'un mètre sous l'eau, même à mer exceptionnellement basse. Un phénomène identique de submersion est visible en divers points de l'île et de sa voisine Rhénée où plusieurs sépultures sont immergées. Cette montée des eaux semble s'être accélérée depuis la Grande fouille, et peut-être à cause d'elle. Perturbant les courants dans la passe, le rejet en mer des déblais a modifié le trait de côte et contribué au comblement du Port sacré comme à l'érosion du littoral au Nord et au Sud.
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