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On est aussi tenté de le faire à propos de l'autre marbre Choiseul-Gouffier du Musée Borély (figure 10). W. Froehner donnait ce "trépied" comme délien en se fiant au Comte et à l'inventaire de sa collection par Dubois. P. Roussel jugeait que cela "ne sembl[ait] pas incontestable" ; il intégrait pourtant ce monument dans son étude sur les cultes égyptiens à Délos. Ch. Picard ne partageait pas ces doutes : il n'a malheureusement jamais écrit l'étude qu'il annonçait sur les "documents du Musée de Marseille". Sans vraiment hésiter sur sa provenance, J. Marcadé a enfin consacré, dans son volume sur la sculpture délienne, un développement à cette "base triangulaire".
Haute de 66 cm., elle porte une dédicace, faite vers la fin du troisième siècle avant notre ère, par Sôsinikos, fils d'Evagoras à la triade égyptienne Sarapis, Isis et Anubis. Sur ses trois faces, le bloc est décoré de bas-reliefs qui représentent Léto, Apollon et Artémis, avec leurs attributs respectifs. Cette pièce, sans vrai parallèle, reste quelque peu énigmatique. L'identifier, comme W. Froehner, à "une base de trépied" n'est pas crédible. En faire un "autel" est une hypothèse gratuite. Pour J. Marcadé, "la base triangulaire pourrait avoir porté, plutôt qu'un candélabre à proprement dit, l'un de ces yumiathria qui semblent avoir été si nombreux dans le Sarapieion C". L'idée d'un support de vase à brûler les parfums se justifie en effet non seulement par la forme du bloc, mais aussi par les inventaires épigraphiques attestant de la fréquence de cet ex-voto dans le sanctuaire égyptien. Nous voilà revenus là où le Massaliète Philon, fils de Métrodôros, s'acquitta un peu plus tard d'un voeu. Car c'est bien sur cette "terrasse des dieux étrangers" que se fit sans conteste l'offrande de Sôsinikos, fils d'Evagoras. Point besoin de préciser que les angles de la base portent des "lions-griffons cornus et ailés" : le motif est couramment utilisé à Délos sur les "trapézophores", lourds pieds de table en marbre, et sur les représentations sculptées de meubles. Le schéma révélerait même l'influence dans l'île d'ateliers alexandrins. Il y a comme une signature délienne dans cette association saisissante entre une dédicace à des divinités égyptiennes et une représentation de la triade apollinienne. L'expression la plus traditionnelle de la piété à Délos se met ici au service de formes nouvelles du sentiment religieux. Syncrétisme remarquable, possible dans une cité où la rencontre entre l'ancien et le moderne était favorisée par une population cosmopolite, ouverte aux influences extérieures par le mouvement du commerce et la vie du sanctuaire.
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