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Est-ce à dire, comme le propose avec précaution M. Besnier, que "Tournefort l'a rapporté lui-même d'Orient","dans sa patrie aixoise" ? On sait que sa mission botanique qui dura deux années se termina là où elle avait commencé, à Marseille. Le 23 avril 1700, Tournefort s'embarquait pour la Crète ; de retour de son périple levantin, il débarquait au Vieux-Port, le 3 juin 1702. Sa visite des Cyclades dura tout l'été et l'automne 1700. Il fit alors plusieurs excursions à Délos et Rhénée. Voilà qui est difficile à concilier avec la date indiquée par les travaux de l'Académie. Tournefort a pu apercevoir le relief et en faire un relevé sans forcément avoir voulu s'en emparer ou même en avoir eu les moyens.
Le transit par Marseille est également certain pour le marbre, longtemps appelé L'Inopus et aujourd'hui au Musée du Louvre. J. Charbonneaux a eu raison de cette fausse appellation. "La coupure oblique du torse avait fait supposer d'abord qu'il s'agissait d'une figure de dieu fleuve couché dans un fronton et comme la sculpture provient de Délos, le nom du "fleuve" de l'île s'imposait. En fait, la forme de ce beau fragment s'explique tout simplement par le système de taille économique du marbre ; (...) ce haut de statue se raccordait à une partie inférieure drapée qui suivait la ligne oblique et sinueuse de la coupure". Au terme d'un parallèle audacieux entre la Vénus de Milo et cette oeuvre délienne, J. Charbonneaux a proposé d'y reconnaître le portrait de Mithridate le Grand.
Quelle que soit la justesse de cette identification, c'est à Marseille qu'arriva ce marbre. Visconti le rappelait dès 1817 dans sa Description des antiques du Musée royal. "Ce morceau d'un travail excellent a été recueilli dans les ruines de Délos... Ce fragment précieux, apporté à Marseille par un bâtiment auquel il servait de lest, fut acquis par un artiste (M. Gibelin [sic ]) qui le céda au musée". S'appuyant sur des documents d'archives, E. Michon a établi que l'oeuvre était au Louvre depuis l'an X. Elle avait été donnée au Musée avec d'autres antiquités par Esprit-Antoine Jubelin, un Aixois à la personnalité originale. Né à Aix-en-Provence le 17 août 1739, il y mourut le 23 décembre 1813. Pendant la Révolution, il se montra actif à la mairie de sa ville natale et devint colonel de la milice. En 1795, il gagne Versailles en qualité de "directeur de l'Ecole de peinture d'après le modèle vivant". Le Ministre de l'Intérieur, suivant une proposition de l'Institut faite le 15 germinal an X, chargea le citoyen Gibelin d'"enrichir le Museum français" et "d'exciter dans Paris l'émulation de nos jeunes artistes" grâce à la découverte de "monuments curieux, et pour ainsi dire, indigènes, qu'un heureux hasard a fait découvrir au sein de la république". C'est vraisemblablement au cours d'une tournée départementale que Gibelin remarqua "l'Inopos" à Marseille.
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