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LA COLONISATION GRECQUE






    Pour le Socrate du Phédon de Platon, le domaine grec est de même indissociable du bassin méditerranéen tout entier. Sur "cette terre qui est quelque chose d'immense", les Grecs "habitants de la région qui va jusqu'aux Colonnes d'Héraclès en partant du Phase", c'est-à-dire de la Mer Noire jusqu'à Gibraltar, n'en occupent certes qu'une petite partie. Mais groupés autour de la mer, ils trouvent leur unité dans un paysage et "sont comme, autour d'un marécage, des fourmis ou des grenouilles". Pour le philosophe, la Méditerranée est familière, naturellement accueillante aux cités grecques. Ses horizons paraissent même presque rétrécis, quand on la compare à l'Atlantique, "la mer totale", celle qui abrita jadis l'Atlantide. Comme l'écrit Platon dans le Timée, pour qui regarde depuis l'Océan, "en deçà du détroit des Colonnes d'Héraclès, ce n'est apparemment qu'une rade au goulet resserré". Cette image aura une longue postérité ; elle est encore sous-jacente à la vision qui fait de la Méditerranée actuelle un lac et dont Fernand Braudel demandait à l'historien de se déprendre. Sensible au morcellement de cet espace maritime complexe et à son rôle de carrefour, Thucydide ne se laissa jamais prendre à ce mirage. Si ouverte fût-elle aux Grecs, la Méditerranée ne fut point sans périls. A la façon du détroit qui sépare Rhégion de Messine. "C'est à cet endroit que la Sicile se rapproche le plus du continent et c'est à cette passe qu'Ulysse eut, dit-on, à franchir, que l'on a donné le nom de Chrarybde. Comme elle est fort étroite et traversée par des courants venant des deux grandes mers voisines, la mer Tyrrhénienne et la mer de Sicile, elle a acquis à juste titre une réputation d'être dangereuse" (IV, 25).

    Le rappel du témoignage d'auteurs anciens ne saurait faire oublier que leur intérêt a été renouvelé par la masse des découvertes archéologiques de ces trente dernières années. C'est aujourd'hui la confrontation des textes et des fouilles qui achève de rendre plus sensible l'empreinte grecque en Méditerranée. Une chronique de la colonisation peut désormais s'enrichir d'un panorama des influences culturelles. Depuis quelque temps, le tableau se complique, il est vrai, avec les trouvailles répétées de tessons mycéniens en Occident, comme à Luni sul Mignone, à Termitito ou sur le site de "Scoglio del Tonno" (l'écueil du thon) à Tarente. Sans vouloir nier l'existence d'escales grecques dans une partie de la Méditerranée occidentale dès l'âge du bronze, il faut toutefois les distinguer des opérations coloniales du haut archaïsme. Ni le nombre, ni le développement des unes et des autres ne peuvent en effet se comparer. Rien n'assure non plus une continuité entre les points de contact mycéniens du IIe millénaire et les établissements du VIIIe siècle.