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Dominique Briquel (Université de Paris IV), "Hannibal sur les pas d'Héraklès : le voyage mythologique et son utilisation
dans l'histoire".
Héraklès était pour les Grecs le héros voyageur par excellence. Il s'était aventuré jusqu'aux terres mystérieuses de l'Extrême-Occident, ces portes du soir où le soleil disparaissait dans l'Océan. Les " colonnes d'Hercule " marquaient la frontière du monde inconnu, la limite au-delà de laquelle on ne peut pas aller. Le voyage de retour lui-même avait été riche d'exploits : on prêtait au héros de nombreuses aventures, comme ses démêlés avec le brigand Cacus qu'il avait châtié sur le site de Rome, on lui attribuait aussi en cette occasion comme en d'autres de nombreuses conquêtes féminines il avait semé des rejetons non seulement dans le monde grec de l'Italie du Sud, mais aussi en terre barbare, à Rome voire chez les Celtes -, et on estimait que le héros était le premier à avoir ouvert des routes dangereuses, comme celle qui franchissait les Alpes. Cette image du héros ouvreur de voies, vainqueur de monstres et de brigands, séducteur de jeunes femmes à l'occasion, mais à travers tout cela porteur de la civilisation hellénique qu'il apportait avec lui aux confins du monde barbare, était une des composantes de l'imaginaire des Grecs et la célébrité du héros à la massue bien en dehors des limites de l'Hellade l'avait diffusée dans
l'ensemble du monde méditerranéen. Au même titre que les Grecs, les peuples indigènes de l'Italie ou les Carthaginois connaissaient le héros l'identifiant le cas échéant à des figures de leur propre fonds, comme, pour les Puniques, le phénicien Melqart.
Cette situation fait que la figure d'Héraklès, héros voyageur, était
susceptible d'être utilisée comme référent mythologique, comme modèle pour des voyages situés dans le temps de l'histoire auxquels le parallélisme avec ceux effectués par le héros dans le mythe, venait donner le grandissement qui en en faisait des exploits égaux aux siens. Le voyage d'Héraklès a pu de ce fait être sciemment mis en avant par des personnages désireux de se poser en émules, sinon en égaux du héros. Cela semble avoir été le cas pour
Hannibal, lorsqu'il s'est élancé depuis l'Espagne à la conquête de l'Italie, suivant la voie qui avait été celle du héros grec. Étant donné la perte des récits qui pouvaient présenter le point de vue carthaginois sur la deuxième guerre punique, on ne peut pas s'attendre à ce que cette dimension de l'expédition d'Hannibal apparaisse explicitement dans nos textes, qui reflètent toujours inévitablement le point de vue des Romains. Mais certains
éléments épars autorisent à la rétablir, notamment à partir des fragments qui nous sont parvenus de l'oeuvre d'un Grec, Silènos de Caléactè, qui servit dans les rangs de l'armée punique puis se fit l'historien de la campagne qu'il présenta bien sûr dans un sens favorable au chef qu'il avait servi.
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