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VOYAGER DANS LES CYCLADES






    On essaya d'oublier celles de la communauté latine pendant la venue de Nointel : célébration d'unTe Deum à la cathédrale, prières pour le Roi, messes chez les Franciscains installés depuis 1535, chez les Capucins et à la Mission des Jésuites ouverte en 1627 et bientôt habilement dirigée par le Père Saulger. Nointel jouera aussi les conciliateurs dans une famille grecque et profita d'une tentative de pirates levantins pour s'indigner de leurs abus "au préjudice des pauvres chrétiens et du commerce des Français". "Je parus, écrira-t-il, sur une terrasse, d'où leur ayant reproché leur manque de respect, ils y répondirent avec excuse, sur la croyance que je fusse parti". Dans cette île riante et boisée produisant un bon vin, l'Ambassadeur multiplia enfin les excursions et les réjouissances : parties de campagne, chasse aux cerfs, ascension au Mont Zia, dont le nom rapelle Zeus, comme le Mont Coronis évoque celui de la nourrice de Dionysos.

    Les voyageurs du XIXe siècle éprouveront encore, avec une nostagie attendrie, ce bonheur de vivre. Comme le soulignera Gobineau, "trop pauvres pour avoir besoin de personne, suffisamment vêtus et nourris sous un ciel délicieux pour n'éprouver aucune souffrance de cette ravissante indigence, indolents avec conviction, fiers du passé et sachant garder la dignité nécessaire au présent, les gentilshommes naxiotes vivent paisiblement et ne s'en estiment pas d'un grain au-dessous des hommes les plus agités de la société moderne la plus remuante".

    ANTIPAROS OU "LA VÉGÉTATION DES PIERRES"

    Trois mois après son départ de Constantinople, Nointel quitta les Cyclades, le 2 janvier 1674. La caverne d'Antiparos l'avait retenu. Alors que son Excellence cherchait des marbres antiques à Paros, des paysans lui parlèrent d'une statue dans l'îlot voisin. L'espoir du butin l'y conduisit. C'était une stalactite à l'entrée d'une grotte. Cornelio Magni s'y glissa et en ressortit enthousiasmé. L'Ambassadeur descendit à son tour et découvrit "du vert de mousse, du blanc, du noir, de l'obscur, du clair, du bleuâtre". Cet "abrégé du monde" resplendissait d'une "argentine blancheur".

    Nointel y célébra les fêtes de Noël. Pour la messe de minuit, se rassemblèrent dans cette cathédrale improvisée, illuminée par cent torches de cire et quatre cents lampes, plus de cinq cents personnes. A l'élévation, alors que résonnait la musique, retentit au-dehors une canonnade. La cérémonie terminée, Nointel décida de coucher sur place. Quand vint l'heure de repartir, on grava plusieurs inscriptions pour commémorer l'événement. Tournefort en 1700 les commentera en célébrant l'audace de l'ambassadeur. Donnant à son tour une description passionnée de la grotte, il revient sur cette "pyramide surprenante qu'on appelle l'autel depuis que M. de Nointel y fit célébrer la messe". "Cette pièce est toute isolée, haute de vingt-quatre pieds, semblable en quelque manière à une tiare, relevée de plusieurs chapiteaux, cannelés dans leur longueur et soutenus sur leurs piles, d'une blancheur éblouissante". N'est-elle pas "la preuve d'une des grandes vérités qu'il y ait dans la physique, savoir la végétation des pierres" ? A voir les stalagmites, le botaniste croit que le monde minéral pousse comme les plantes.