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TEMPÊTE A DÉLOS
Le passage à Délos est l'étape obligée de toute visite dans les Cyclades. La tempête le rend souvent hasardeux et modifie bien des projets. Celui de Nointel était de rejoindre Tinos, après un passage dans l'île d'Apollon. Le "meltem" - ce vent du Nord qui souffle à rendre la "mer blanche", comme on appelle la mer de l'Archipel - y retint trois jours l'Ambassadeur, du 3 au 5 novembre 1673. Il écrira : "J'aurais été obligé d'y demeurer bien davantage, si l'ennui d'un si long séjour dans un désert, l'impossibilité de continuer la route préméditée ne m'avait fait prendre le parti de relâcher à Naxos". Le temps était si mauvais que tous craignaient pour leur vie. Antoine des Barres évoque ce climat de peur : "Chacun préparait ses petites affaires pour l'autre monde. Un valet de chambre de M. de Nointel lui rendit dix pistoles qu'il avoua lui avoir volées en plusieurs fois".
Deux ans plus tard, Jacob Spon et Georges Wheler éprouveront pareille mésaventure : elle deviendra un poncif de la littérature des voyageurs déliens. Quittant en barque Tinos où leurs navires avaient fait relâche, ils pensaient être partis pour une journée d'excursion. Le vent s'étant levé, il leur fallut passer la nuit à Délos. Le lendemain, la mer était toujours déchaînée. On chassa pour se nourrir ; on crut mourir de soif avant de découvrir une citerne. "L'eau en était bonne, ou du moins elle nous paraissait telle, et même aussi excellente que le meilleur vin du monde". Au soir, Spon et ses amis virent avec stupeur leurs vaisseaux reprendre leur course, puis s'arrêter à Mykonos du fait de la houle. "Notre sommeil ne fut pas profond cette nuit-là, par l'inquiétude de ce que nous deviendrions sur ce misérable écueil de Délos, dont l'ancienne renommée ne nous donnait point à manger. Nous fûmes tous éveillés avant l'aube du jour, et nos matelots ayant remarqué que le vent s'était un peu relâché, nous profitâmes de ce moment pour nous embarquer, et venir à la rame à Myconé".
La passion des ruines antiques a ses limites. Spon craint d'être abandonné dans cette solitude ; Nointel redouta de s'y ennuyer. Antoine des Barres ne cacha pas sa déception : "Ces îles, si renommées chez les Grecs, n'ont plus rien de considérable que le nom. Elles sont inhabitées et ne sont l'objet de la curiosité des voyageurs qu'à cause de leur antiquité et du choix qu'Apollon en avait fait pour y rendre ses oracles". Cornelio Magni a retracé l'itinéraire de l'Ambassadeur dans ce chaos de pierres inhospitalier que pillaient déjà des marchands en quête de lest à revendre. D'abord la découverte de la "Grande Délos", l'île de Rhénée qui, faisant face au sanctuaire d'Apollon et à sa ville, lui servait autrefois de territoire et de nécropole. Ensuite Délos et la recherche du temple du dieu dans la masse des blocs.
On lut l'inscription d'un Roi Philippe sur une architrave qui appartient, pour nous, au Portique de Philippe V de Macédoine. On repéra les restes du Colosse des Naxiens déjà fort mutilé. L'aventureux marchand Cyriaque d'Ancône, dont deux manuscrits, l'un au Vatican, l'autre à Munich, laissent reconstituer les promenades déliennes en avril 1445, avait pu dessiner le visage de la statue. Il est le seul à en donner une idée. Cornelio Magni note, lui, que "la tête manque entièrement" et rapporte qu'elle aurait été enlevée par des Anglais. De quoi lui faire soupçonner Lord Arundel, grand amateur d'antiquités qui acheta pour sa collection le fragment trouvé en 1627 de la "chronique parienne" que conserve aujourd'hui "l'Ashmolean Museum" d'Oxford ! Après le spectacle des lions de marbre devant le Lac sacré et une marche vers le gymnase, viendra pour Nointel et ses compagnons l'ascension du Cynthe. Elle avait inspiré à Cyriaque une prière à Mercure qui sonne un peu comme celle de Renan sur l'Acropole. Elle fera écrire à Simone de Beauvoir : "Nous regardions les îles au loin luire, puis s'effacer dans la poudre mauve du soir. Délos fut un des lieux où je possédais le paradis".
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