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VOYAGER DANS LES CYCLADES






    Cette image frelatée d'un tourisme de pacotille contraste avec la réalité animée qu'affronta la galiote de Nointel, attaquée dès l'entrée du port. L'Ambassadeur raconte : "Après avoir doublé le cap qui le couvre, une frégate avec bannière de Livourne est venue au-devant de moi, et a changé son dessein de pirater en l'honneur qu'elle a rendu à la bannière de sa Majesté et à la personne de son ambassadeur. Car, sitôt que son capitaine a été averti que j'étais sur le bâtiment qui faisait le sujet de son envie, il m'a fait saluer". Nouvel incident, une fois à terre. Le capitaine turc de Nointel est pris en otage par un Français sous bannière sarde. On palabre ; le corsaire reconnaît sa bévue. Il est généreusement pardonné tandis qu'on commande "de faire rendre une veste et une douzaine de sequins". Ce qui fut fait "après une exacte recherche accompagnée des dernières menaces".

    Quand débarque Nointel, l'île est la proie de pirates dont l'audace a d'autant moins de limites que vient de mourir Panayiotis Nikousios. Après la chute de Candie en 1669, ce "drogman", interprète de la Porte, avait heureusement négocié avec les Vénitiens. Il avait reçu en récompense du sultan l'île de Mykonos qu'il ne contrôla jamais tout à fait. Le territoire et ses revenus avaient déjà changé plusieurs fois de mains. Lors du partage des îles de l'Égée entre Occidentaux, après la prise de Constantinople par les armées de la quatrième Croisade, les frères Ghisi, agissant pour leur compte, s'étaient emparés en 1207 de Tinos et Mykonos. Faute d'héritier, le fief revint en 1379 à Venise. Mais elle dut céder Mykonos après les expéditions de Barberousse (1537-1538). Bien que levant régulièrement tribut, l'autorité ottomane aura toujours du mal à se faire reconnaître au siècle suivant. Face aux mêmes difficultés, et malgré la promesse de Venise de lui venir en aide, Nikousios ne put jamais chasser les pirates de son domaine.

    Jean Chardin, un Français qui gagnait en 1672 Constantinople sur un navire vénitien, fut ainsi témoin d'un curieux manège. En vue de Mykonos, on tira des fusées "pour avertir les corsaires chrétiens qui pourraient être au port de se retirer avant le jour". Au voyageur étonné, on répondit que "la République [de Venise] s'était engagée au Grand Seigneur dans le traité de Candie de chasser de l'Archipel les corsaires chrétiens et d'en prendre autant qu'il s'en pourrait, et ayant d'ailleurs reçu plusieurs services de corsaires durant la dernière guerre qu'elle a eue contre les Turcs, elle usait de ce ménagement afin de satisfaire la Porte sans agir pourtant contre les corsaires". C'est à ce spectacle ou à d'autres similaires que, sur le bateau de Nointel, le père jésuite Robert Saulger songea à ce qui deviendra l'un des thèmes majeurs de son Histoire nouvelle des anciens ducs et autres souverains de l'Archipel : l'utilisation contre les Ottomans de la piraterie pour rétablir sous la houlette française l'influence latine dans les Cyclades.

    Tous les voyageurs du XVIIe siècle n'ont pas la tête politique. La plupart se contente de souligner la liberté des moeurs dans cette île où, comme l'écrit Jacob Spon dans son Voyage d'Italie, de Dalmatie, de Grèce et du Levant, "on trouve quatre femmes pour un homme, parce que la plupart des insulaires sont mariniers ou corsaires". Ce jeune médecin lyonnais retiendra de sa halte à Mykonos en août 1675 que "les filles n'y sont pas cruelles, quoique pour la plupart elles soient très belles. Notre capitaine en enleva une, que son propre père lui avait vendue. Elle faisait semblant de n'y pas consentir, et toutes les femmes feignaient de s'en alarmer". Spon décrit ensuite leur habit si particulier avec ces pièces de velours, de toile et de soie, souligne leur habileté à tisser avant de conclure sur le bas prix du gibier... à condition de n'être pas étranger ! Le botaniste Joseph Pitton de Tournefort, qui explorera les Cyclades d'août à décembre 1700 et séjournera près de deux mois à Mykonos, ne dément pas son prédécesseur, reconnaissant y avoir fait bonne chère et laissant à son tour une description illustrée du costume myconiate. S'il le qualifie de "grotesque", il confie que "les dames de Mycone ne seraient point désagréables si leurs habits étaient moins ridicules" et que les femmes sont "couchées le plus souvent dans les rues parmi les cochons", tandis que "les hommes fréquentent la mer". Et de rappeler que l'on s'efforce encore avec les revenus de l'île - cinq mille écus de capitation et de taille réelle - de "purger l'Archipel de petits corsaires".