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LE GOUFFRE






    Une langue pour tout dire, quelle excellente chose ! Les savants en profitent, non moins que les littérateurs. Le savant se met à sa table, s'entoure de ses livres, consulte ses notes, rédige paisiblement, compose un livre, présente un mémoire au bout de l'année et se rit du gouffre de Naxos.

    Petite fillette, ma voisine, voilà le métier qu'il faut faire.

    Bientôt je serai moi-même sorti du gouffre, je serai délivré des voyages et des écritures et je pourrai doucement m'installer dans ma rue Claude-Bernard. Adieu donc, petite fillette ! Ta petite face est rieuse et je vois que mon sourcil grondant te fait peur. Je ne veux pas te laisser de moi cette idée triste. Je ne veux pas toujours médire. Apprends donc que, dans le Gouffre même, j'ai pu, dans la matinée qui me restait, recueillir, en m'obstinant, des contes exquis et de curieuses paroles. Ne perdons jamais courage, même au fond du gouffre. J'y fus aidé aussi par quelques braves villageois.

    Grâces soient rendues aux amis qui, par toute la Grèce, m'ont soutenu, m'ont reçu chez eux, comme un enfant ! Dans le village naxiote, où je reste à écrire en ce moment, dans le village de Damariona, je ne suis arrivé que d'hier, à une heure de l'après-midi ; je suis descendu chez le député, qui ne connaissait pas même mon nom ; je lui expliquai en deux mots ma visite. Aussitôt, à la minute même, la maison s'emplit d'enfants, de contes et de bonne chère.

    Tous ceux que j'ai rencontrés dans les Cyclades ont fait leur possible toujours pour me rendre la tâche aisée. Ils avaient même l'air, j'ose le dire, un peu plus au courant de ces recherches que le ministre athénien de l'Instruction publique. Ils savaient ce que veut la science, en comprenaient les exigences minutieuses. Un homme du peuple, se penchant un jour par-dessus mon épaule, aperçut les signes bizarres que je traçais pour reproduire exactement les paroles recueillies. Il demeura silencieux et médita. Le lendemain, il me montra sur un papier des signes analogues ; il essayait de noter aussi !

    J'ai fait ainsi quelques linguistes. Des causeries sur le langage, de bonnes et douces causeries, nous en eûmes à table chaque soir, dans la ville de Naxos, avec le plus aimable de tous les Naxiotes. Nous nous étions connus à Syra, au restaurant. J'allais à Paros, lui retournait dans son île. L'excellent M. Bradouna regardait à sa fenêtre, sur le port, et attendait chaque jour mon caïque, de peur que je ne vinsse à Naxos sans aller chez lui.

    Le monde, dans cette île heureuse, est prompt à rendre service et les visages sont épanouis. Le démarque de la ville m'a semblé seul faire exception ; mais, tout à l'opposé, le démarque de Khalki fut un hôte à la façon antique. Je me présentai chez lui le soir, à neuf heures ; la table était desservie, toute la famille couchée. Il commande le dîner et fait préparer le lit, et, quand j'ouvre la bouche pour me nommer, il me répond : Cela n'est pas nécessaire.