Bandeau









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LE TEMPLE DÉTRUIT






    Je me retournai et j'aperçus justement derrière moi la maison, la maison même où tout à l'heure j'étais aller frapper. Le balcon était plein de monde. Je demandai doucement :

    - Y a-t-il quelqu'un pour m'ouvrir ?

    - Non, il n'y a personne.

    Je connus qu'on me faisait offense. Je me remis sur mes cailloux et y restai plus d'une demi-heure. Je réfléchissais, étendu sur le rivage. Mon naturel est fort paisible et je ne suis guère susceptible, je suis même un peu philosophe. Il me plaît, quand un homme se conduit lâchement à mon égard, de saisir d'abord son mobile secret. J'aime à scruter ainsi les raisons de toute chose, et je suis toujours à la recherche d'un pourquoi. Je me disais donc en moi-même : " les Tiniotes agissent sagement. Ils n'ont vraiment pas le temps de s'occuper des étrangers. Cela est certain. Mais d'où vient cette indifférence ? Alors que tous les bras, en Grèce, vous sont ouverts, comment se fait-il qu'à Tinos les portes restent closes obstinément ? Cela tient évidemment à ce que les Tiniotes ont beaucoup d'argent. Que leur importe, alors ? Mais cet argent, d'où vient-il ? Il leur vient de la Panaya ; elle en garde pour sa part une bonne quantité, elle en distribue pourtant beaucoup aux Tiniotes. Maintenant, voici une contradiction : Tout cet or affluant à Tinos lui arrive par les étrangers qui viennent y chercher la guérison et le miracle, et pourtant Tinos est inhospitalière à l'étranger. Comment expliquer cela ? Je compris aisément que c'était là une contradiction apparente. Tinos accueille l'étranger qui l'enrichit, elle repousse celui qui n'apporte avec lui que son art et que sa pensée ; elle ne veut point du poète inutile. L'église de la Panaya s'appelle l'Établissement ; cela ressemble moins à la religion qu'au commerce et a un air de trafic. Aussi l'or a t-il desséché le coeur tiniote ; il a mangé tout christianisme ; la religion a fait les Tiniotes irréligieux. L'or seul émeut leur pitié. "

    Ainsi pensais-je, et leurs façons me semblaient maintenant logiques. C'est une de mes joies les plus pures que d'arriver à comprendre enfin ce que j'ai de la peine à m'expliquer tout d'abord. Dès que j'ai compris, je me calme. Le malheur, c'est que je ne suis pas seul ; un autre homme aussi habite en moi, je crois que j'ai deux âmes. L'une d'elles a toujours le calme de la mer, l'autre connaît et le calme et la tempête, parce qu'au fond de mon coeur et qu'au fond de mon cerveau, un poète est vivant. À Tinos, au bas du rivage, mon poète fut soulevé par une grande colère.