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L'amour est la soif du monde. Il y a tant de malheureux, tant de pauvres, tant de coeurs tristes. Aimons le monde entier, veux-tu ? Je ne puis pas voir une larme, sans que mon âme n'en soit mouillée. Mon désir, mon seul, c'est que les tristes soient consolés. L'injustice me fait mal. Ce n'est pas toi seule que j'aime ; j'aime tous les êtres. La douleur des hommes m'a brûlé le coeur. Ne te l'ai-je pas dit que j'étais le Grand Brûlé d'amour, infortuné ?
Viens donc, petit enfant, laissons-nous brûler tous les deux, aimons tous les deux notre brûlure. Notre brûlure est bonne, puisque c'est la pitié qui nous l'a faite. Quel est le remède véritable qui peut guérir le monde ? L'amour, il n'en est point d'autre. Pour guérir les malades, il faut d'abord les aimer ; il faut penser à eux et ne plus penser à soi-même. La science à elle seule ne suffit pas. C'est l'amour qui lui donne l'existence et la vie. Notre curiosité n'est qu'un amour immense, l'amour de savoir, l'amour qui, comme un aimant, de tous les coins de l'univers, nous attire, nous fait aller vers l'inconnu, et c'est ainsi que la science naît de l'amour.
L'art naît de l'amour aussi. Pour comprendre les hommes, il faut les aimer. Comment sera-t-il possible, en effet, d'entrer dans leur âme, d'analyser leurs passions et de les écrire, si d'abord nous n'aimons pas cette âme, si nous ne revivons pas ces passions ? Il faut aussi que nous aimions la nature, pour en dire la beauté ; comment la pénétrer sans cela ? Il faut perdre la tête pour les montagnes, être fou de la mer, idolâtrer le bouton d'or de la plaine. Et tout l'art n'est-il pas là ? N'est-il pas une fleur que l'on cueille, ou une âme qu'on respire ?
Viens donc, barque légère, ma petite, ma mignonne, nous allons changer de mer maintenant, nous allons faire voile vers l'océan de l'amour. Prenons le large, gardons le large toujours, allons loin, plus loin, indéfiniment loin. N'aimons pas ceux-là seulement dont le coeur est triste ; aimons les heureux, les grands, tous ceux à qui la chance est bonne ; aimons ceux qui ont gloire, richesse, intelligence. Que feront-ils, si nous ne les aimons pas, de l'intelligence, de la richesse et de la gloire ? Dis, veux-tu ? Nous allons jouir de leurs biens avec eux, du moment que nous les aimerons comme des frères. Leur âme en sera plus fraîche, sais-tu ? et notre amour leur dira qu'il est la plus grande richesse et le bonheur le plus grand.
Il faut, mon tout petit, lorsque le monde est endormi, il faut que tous les deux nous veillions, que nous travaillions pour le monde. Travaillons pour tous, travaillons aussi pour les sots, pour les jaloux, pour les sourds et pour les aveugles. Aimons-les, va, et peut-être alors nous aimeront-ils à leur tour. Que notre bonté soit une montagne, et que les méchants n'en puisent pas voir la cime. Ne nous laissons pas fatiguer, ni gâter le courage par la sottise et par la fausse amitié, par l'ingratitude et par la haine, par la haine nauséabonde, qui remplit sa bouche de mensonges, qui le sait et qui n'en a point de honte.
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