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Je veux bien encore que des hommes s'enorgueillissent d'une science vaine ; mais n'est-il point triste que les femmes cherchent à les imiter et que leurs lèvres malhabiles balbutient un langage apprêté ? Je suis sûr que quand elles aiment, elles ne vont point cueillir leurs phrases dans les vieux textes oubliés, et c'est alors qu'elles sont dans la vérité. Je voudrais les convertir à la bonne doctrine que je vais prêchant en Grèce, toutes les fois que j'y voyage. Elles devraient être les premières à nous suivre, mes amis et moi-même, dans la voie que nous avons frayée parmi les fleurs de la forêt où leur grâce s'épanouira plus à l'aise.
Que Dieu me pardonne ! Nous nous arrachons l'âme de la poitrine pour leur plaisir d'une heure, pour que nos malheureux écrits, moins ardus pourtant que les grammairiens, les tiennent une heure en suspens. Dans les romans et les nouvelles, nous épandons notre âme goutte à goutte jusqu'à ce qu'enfin la feuille inerte soudain palpite. Il faut vraiment que les femmes soient avec nous. C'est la femme à qui l'enfant doit sa langue et son âme ; c'est pour la femme aussi et par la femme que se fait toute littérature. Les beaux livres, amusants ou passionnés, s'adresseront aux femmes toujours.
Les livres, que les Grecs feront pour elles, sentiront bon comme les fleurs en mai ; il faut que la Grèce doive un jour à ses femmes sa littérature, et que dans les champs grecs, vierges encore, s'épanouisse par leurs soins la rose éclatante qui remplira le ciel de son odeur.
Dites leur donc, mes Athéniens, dites aux femmes que la prose nouvelle qui se crée a besoin de leurs lèvres. N'aiment-elles pas toujours la hardiesse des tentatives ? Si, je pense. La langue des grammairiens n'est-elle pas triviale comme une borne, puisque chacun peut l'écrire en consultant sa grammaire ? Adressez-vous donc à celles d'entre les femmes qui ne veulent pas ressembler à toutes les voisines, qui éprouvent un dépit secret à voir porter par toute la ville la robe et le chapeau qu'elles ont portés les premières. Le petit chapeau que nous coiffons n'est pas celui de toutes les têtes.
Et comment donc est-il fait, ce petit chapeau aux couleurs populaires ? Il est simple et il est joli. Plus le goût est raffiné, et plus il se plaît à la simplicité dans le langage et dans l'art.
Le petit bateau de Tinos court toujours sur les flots, et je rêve toujours pour la Grèce des splendeurs dignes de son histoire. La nuit est tombée, et je reste sur le pont. Me suis-je ou non endormi ? Je ne sais plus. Mais il me semble maintenant que je vois, loin à l'horizon, une Acropole nouvelle, que je vois de nouveaux dieux. Sur les marches du Parthénon, des femmes en robes claires sont assises, à la file ; les nouveaux dieux, les beaux poètes, s'approchent d'elles et les saluent ; ils leur offrent des fleurs, et le ciel est remué de mille souffles aromatiques.
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