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LES DEUX ACROPOLES






    De loin, en m'en allant, je disais adieu à l'Acropole, dans le soir qui se faisait, tandis que, rapidement, le train m'emportait vers le Pirée, où m'attendait le bateau de Tinos. Je disais adieu à l'Acropole et j'étais triste. Mon coeur s'épanouit dès que je mets le pied sur ce sol, le sol sacré d'Athènes. Où donc, me disais-je, dans quelle autre partie de la Grèce, retrouverai-je des reporters en nombre aussi grand ? Où verrai-je tant d'amis et tant de journaux ? Où donc les rues auront-elles le même rire que les rues athéniennes ?

    Tout m'y plaisait et j'admirais tout. Et ces belles montagnes de l'Attique, que pour la première fois j'avais vues à Képhissia et dont mes yeux ne s'étaient point lassés, où donc, maintenant que je les quitte, m'enchanterai-je encore de leur douceur ?

    Lorsque le soleil va se reposer, les collines légères, là-bas, là-bas, prennent des obscurités roses ; à la file, l'une derrière l'autre, on dirait qu'elles se couchent pour dormir. Le dernier monticule, au loin, tout au fond de l'horizon, paraît à peine ; une vapeur fine l'enveloppe de sa ouate, et l'on ne sait plus si c'est un monticule ou un nuage. Allez voir les montagnes à Képhissia et vous n'aurez pas besoin de lire les mythologies qui parlent des anciens dieux. Un frisson vous prend à leur vue. Oui, c'est là, vous dites-vous aussitôt, c'est sur cette montagne et dans cette vapeur qu'habitent des dieux.

    Je m'entretenais dans ces pensées, lorsque je m'embarquai sur le bateau de Tinos et j'étais préoccupé. J'avais une grande peine. Je rêvais pour la Grèce des splendeurs dignes de son histoire. Qui donc, sur cette terre antique, viendra bâtir l'Acropole nouvelle ? Les dieux nouveaux, sur quelle montagne, en quel lieu les apercevrons-nous ?

    J'ai fait voyage avec un papas. C'était un homme intelligent et cultivé, et qui avait des manières aimables. Il était professeur à Santorin. Plus tard, je fis la connaissance d'un autre papas dans un des villages de Tinos ; les villages, à Tinos, sont très hospitaliers et les hommes y ont le coeur ouvert (je veux dire ailleurs quel genre d'hospitalité on vous offre dans la ville même). La figure de mon papas tiniote, sous sa longue barbe, brillait d'esprit ; ses yeux étaient infiniment doux, il y avait de la gaîté dans ces yeux, il y avait de la malice aussi. Il était fort instruit et se tenait au courant de tout ; je trouvai chez lui nos journaux et nos périodiques et ceux de nos livres qui pouvaient l'intéresser. Il me parla d'Ernest Renan avec admiration - un grec admirera toujours un grand homme - et ne me présenta ses réserves qu'avec une fermeté courtoise et sereine. Je m'étais aussitôt senti beaucoup d'amitié pour mon papas. Quel accueil charmant je rencontrai auprès de lui ! Il se refusait à me laisser partir et voulut à toute force me donner son chapelet.