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DU BON USAGE DU "MIRACLE GREC"






    Le subtil essai de Jean Ducat, "L'art grec sans miracle", offre au dernier des beaux livres du XXème siècle sur la Grèce une chance de poursuivre sa carrière au-delà de notre millénaire. Débarrassés depuis peu de leurs restaurations modernes, les frontons du temple d'Egine ont retrouvé vie. De même, il faut s'affranchir de la tradition classicisante pour dégager une vision d'ensemble de la production artisanale dans la société grecque. La céramique y est à la fois un art et une industrie. Les artisans y sont des artistes : "Ils faisaient de belles statues parce qu'ils faisaient aussi de belles tuiles". Seule une approche anthropologique permet à l'historien de discerner des rapports entre création artistique et vie de la cité. Comme offrande, l'oeuvre d'art illustre des croyances et des pratiques religieuses. Elle est enjeu et source de pouvoir, comme le montrent les efforts des tyrans, à l'époque archaïque, ou ceux des évergètes, dans le monde hellénistique, pour la contrôler. Mise en série, l'iconographie de la cité, telle que la révèle le décor des vases attiques, ne se réduit pas à un réservoir de formes : c'est un moyen d'explorer un imaginaire, d'entendre l'écho lointain de la voix des exclus - celle des femmes par exemple -, ou de repérer des comportements marginaux, comme certaines pratiques du culte dionysiaque.

    Le "miracle grec" ne se dissipe pas comme un mirage. Il prend même force au contact des oeuvres. Leur secret vient de leur qualité qui, écrit Jean Ducat, "semble globalement inégalée". Pour qui fuit le mystère, cette excellence s'explique par la compétence technique des artistes grecs et par le désir d'une communauté tout entière de donner d'elle-même une image dominée par le culte du beau. Valéry notait : "Ce qui distingue l'art grec de l'art oriental, c'est que celui-ci ne s'occupe que de donner du plaisir - le grec cherchant à rejoindre la beauté, c'est-à-dire à donner une forme aux choses qui fît songer à l'ordre universel, à la sagesse divine, à la domination par l'intellect".

    Hervé Duchêne