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DU BON USAGE DU "MIRACLE GREC"






    "La Grèce antique est la plus belle invention des temps modernes", notait Paul Valéry dans ses Cahiers. Jaillie sous leurs pelles et leurs pioches, mais fortifiée par leur imagination, cette création des archéologues du siècle dernier frappa d'autant plus les esprits qu'elle fut associée à l'idée d'un "miracle grec". La formule d'Ernest Renan (1823-1892) est aujourd'hui centenaire, mais continue de faire recette. On s'en inspire comme les organisateurs d'une récente exposition américaine sur "la sculpture classique à l'aube de la démocratie". On la conteste, pour donner actualité à la réédition d'un livre de référence : L'Art grec de Jean Bousquet et Kostas Papaioannou.

    La survie de monuments exceptionnels, appartenant à un si lointain passé, suscitait l'étonnement de Renan. Mais, pour lui, le "miracle grec" ne se résumait pas à la surprenante histoire de la transmission des chefs-d'oeuvre antiques. Il le définissait comme "une chose qui n'a existé qu'une fois, qui ne s'était jamais vue, qui ne se reverra plus, mais dont l'effet durera éternellement, un type de beauté éternelle, sans nulle tache locale ou nationale". Il reliait cette conviction au souvenir d'un séjour athénien. Entre février et mai 1865, Renan visita une douzaine de fois l'Acropole. Il écrira : "L'impression que me fit Athènes est de beaucoup la plus forte que j'aie jamais ressentie. Il y a un lieu où la perfection existe ; il n'y en a pas deux : c'est celui-là. Je n'avais jamais rien imaginé de pareil. C'était l'idéal cristallisé en marbre pentélique qui se montrait à moi."

    Dans cette perspective, trente-quatre chefs-d'oeuvre originaux de pierre et de bronze voulaient célébrer à Washington, puis à New York, la beauté grecque aux lendemains des Guerres Médiques, de l'époque de Périclès à la fin de la Guerre du Péloponnèse (431-404). Les superbes photographies du catalogue édité à cette occasion conservent intacte la force cette séduction et l'on aura longtemps plaisir à feuilleter ce splendide album4. Le choix des oeuvres - de l'éphèbe de Critios à la stèle funéraire d'Hégéso en passant par le relief de l'Athéna pensive - déçoit pourtant. Il montre assurément que l'art classique a atteint sa maturité après avoir lentement conquis liberté des mouvements et sens de la représentation naturaliste. Mais la sélection effectuée dans les musées grecs et européens trahit un athénocentrisme forcené en contradiction avec les trouvailles de ces dernières années. Les témoins de la vitalité des centres de production hors d'Athènes, dans la Grèce propre et dans celle des colonies, au Nord comme à l'Ouest, auraient dû être mieux représentés.