Bandeau









1 2 3 4







DELPHES A CENT ANS






    Moins conciliant, le nouveau premier ministre lia l'octroi du chantier de Delphes à la signature d'un traité de commerce franco-grec assouplissant notamment les droits de douane sur les raisins de Corinthe. La France, dit-on, ne pouvait accepter pareil chantage. Tricoupis offrit alors la fouille à l'Académie de Berlin qui sut la refuser. Alors qu'à Strasbourg, l'archéologue A. Michaelis ironisait sur les Français qui devaient se résoudre à ne détruire par leurs fouilles qu'un sanctuaire d'Apollon, celui de Délos, son compatriote H. Pontow fouilla dès 1885 à Delphes et publia en 1889 un livre sur la topographie delphique qui ne ménageait pas les membres de l'École française. Entre temps, la Chambre des députés avait examiné en juillet 1887 un projet sur les fouilles à entreprendre à Delphes. La Grèce concédait à la France l'exploration archéologique et lui réservait "le monopole des copies, moulages et reproductions artistiques" de ce qui serait trouvé. Les frais que devaient entraîner ces travaux pour la France étaient évalués à 120.000 francs, mais le rapporteur se félicitait d'avoir associé le gouvernement hellénique aux dépenses. La somme de 60.000 francs allouée par la Grèce aux expropriations de "la vingtaine de maisons en bois ou de cabanes construites avec les débris de ruines" paraissait suffisante, "quelles que pussent être les prétentions des habitants du village de Kastri".

    La négociation échoua cependant. Pour Georges Radet, "Tricoupis continuait à jouer double : n'ayant rien obtenu pour ses raisins de Corinthe, il remit la Pythie sous clef". Les intrigues reprirent. La rumeur courut que la Société d'archéologie d'Athènes allait émettre un emprunt de quatre millions avec une banque autrichienne. Les Etats-Unis manifestèrent leur intérêt pour Delphes. M. Norton, président de l'Institut archéologique américain, soutint que, dès 1876, le Ministre des Etats-Unis en Grèce, le Général J. M. Read, avait reçu des assurances des autorités grecques. A New-York, en janvier 1889, il prononça une conférence destinée à collecter des fonds pour l'achat du domaine d'Apollon. Au risque d'encourir les reproches de collègues : "le seul bruit de cette intervention des millionaires du Nouveau-Monde a eu pour effet d'augmenter au-delà de toute mesure la valeur attribuée à leur terrain par les Kastriotes". Premier ministre au lendemain des élections d'octobre 1890, Théodore Delyannis reconnut "le droit de priorité de la France". Mais il fallait désormais procéder à une expropriation totale de Kastri : "325 maisons entourées pour la plupart de jardins", "un millier de parcelles réparties entre plus de trois cents propriétaires", la construction d'un nouveau village. Et ne compter que sur une participation grecque limitée à 60.000 drachmes. Dès janvier 1891, Homolle, nouveau directeur de l'École d'Athènes, sut convaincre Léon Bourgeois, ministre de l'Instruction publique, d'accepter en considération du prestige scientifique de l'opération "les conditions onéreuses imposées par le gouvernement grec". Dès le 5 et le 7 février, les Chambres entendirent les rapports du député Dupuy et du sénateur Bardoux. L'ouverture d'un crédit de 500.000 francs pour les fouilles de Delphes fut votée, le 16 février, par 341 voix contre 61 à l'Assemblée et, le 3 mars, par 193 voix contre 9 au Sénat. La discussion y fut animée. Fallait-il dépenser tant d'argent pour le seul droit de faire des fouilles et de prendre des moulages ? Le sénateur De Saisy cita Esope et cette fable de La Fontaine "où Raton tire les marrons du feu et où Bertrand les mange". Après ratification du parlement hellénique, le Président Carnot, le 8 mars, et le Roi Georges 1er, le 25 avril, signèrent la convention accordant pour dix ans à la France le monopole des recherches archéologiques à Delphes. Comme prévu, il prit fin en 1903 avec l'inauguration, le 3 mai, du premier musée.