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DEUX MASSALIÈTES DANS L'ÎLE D'APOLLON






    La partie supérieure manquante se laisse aisément deviner. Elle reproduisait un premier décret accordant à notre Massaliète le titre de proxène et d'évergète. On pourrait même se risquer à en restituer la lettre. Le décret conservé est en effet rigoureusement identique, dans son formulaire, à celui pris en l'honneur d'un autre étranger, Autoclès de Chalcis. Ce décret était lui aussi précédé par un autre octroyant la proxénie. Cette coïncidence, dans l'emploi de formules que l'on retrouve avec quelques variantes dans une série de textes, guide la datation. Autoclès de Chalcis était l'ami de Démétrios II, qui régna entre 239 et 219. Léon, fils de Léon, dut recevoir ces honneurs vers la même date, à l'extrême fin du IIIe siècle avant notre ère, alors que Délos était encore une "cité indépendante".

    Que signifiait cette distinction ? Pour M. Clerc, les proxènes, "généralement pris parmi les plus riches et les plus influents, représentaient chacun une cité étrangère, dont ils étaient les hôtes officiels. A eux incombaient l'honneur et la charge de recevoir, le cas échéant, les députés officiels de cette cité, mais aussi de protéger, de défendre au besoin auprès des autorités locales les simples citoyens, les marchands par exemple de passage... C'était donc quelque chose, non comme nos consuls, puisque le proxène d'une cité n'en était pas citoyen, mais comme nos agents consulaires ; seulement des agents consulaires beaucoup plus considérés que les nôtres".

    Même si M. Clerc repousse la comparaison avec l'institution consulaire, celle-ci reste sous-jacente. Mais les réalités commerciales n'expliquent pas tout. A l'image d'honneurs de pure forme imposant inégalement la charge d'une fonction, il faut préférer, après l'analyse de Ph. Gauthier, le couple des privilèges donnés et des services rendus. Le décret pour Léon montre bien que ce titre de proxène ne s'épuise pas, une fois reçu. Il est ici confirmé par une nouvelle récompense : la remise d'une couronne lors des fêtes d'Apollon qui avaient lieu au printemps et se déroulaient en partie dans le cadre civique du théâtre. Désormais Léon peut espérer l'érection de sa statue, à condition que son activité bienveillante se manifeste encore. Mais il ne remplit pas de fonction : il démontre par ses actes son utilité à l'égard de tous. Le titre n'implique pas pour lui un rôle nouveau dans la cité. Il n'est pas un personnage officiel et l'on ignore les raisons de son séjour. Vraisemblablement pour ses affaires, puisqu'on sait par ailleurs la vitalité de la place de commerce délienne. Quoi qu'il en soit, Léon était un étranger au statut privilégié. Réciproquement, à la façon dont les dons et contre-dons obligent mutuellement les deux parties dans les sociétés primitives, la communauté délienne ne lui ménageait pas ses soins en retour : accès par exemple plus rapide aux tribunaux, et d'une manière générale "habeas corpus" avant la lettre.