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MARSEILLE GRECQUE : LES LÉGENDES FONDATRICES






    Athénée, au IIIème siècle après J. C., a conservé un récit d'Aristote, qui remonte au IVème siècle avant notre ère et raconte la fondation de Marseille presque de la même façon que Justin. Au cours d'un festin nuptial, Petta, fille du roi Nannos, choisit Euxénos le Phocéen en lui présentant une coupe de vin mêlé d'eau, "soit par hasard, dit Aristote, soit pour quelque autre raison". Le père juge que "le don s'étant fait d'après la volonté d'un dieu", il doit donner sa fille à Euxénos, qui la prit pour femme "après avoir changé son nom en Aristoxéné". Noms hautement symboliques : Euxénos signifie le Bon Hôte et Aristoxéné l'Excellente Hôtesse. Plus ancien que celui de Justin, ce récit donne à la religion la place qui lui revient dans toute fondation de cité : le geste apparemment inconsidéré de Petta n'a pu lui venir que d'une inspiration divine.

    "Il subsiste encore maintenant à Marseille, conclut Aristote, une famille qu'on appelle les Protiades. En effet, un fils naquit d'Euxénos et Aristoxéné : Protos." Ce mot signifie "Le Premier". Premier né de la lignée d'Euxénos, mais aussi le premier dans la cité. Comme si la Marseille des origines avait été gouvernée sur le modèle monarchique des Ségobriges, et non sur le modèle oligarchique des Phocéens. Le Protos et les Protiades d'Aristote expliquent le Protis de la version plus tardive et entièrement laïcisée de Justin.

    Après l'idylle, le drame. L'abréviateur de Trogue-Pompée insiste sur la fragilité des débuts de la nouvelle cité. A la mort du roi Nann, tout est remis en cause. Son fils Comanus regrette la cession consentie par son père. Il prête l'oreille à un de ses conseillers, qui lui conte l'apologue de la chienne demandant à un berger de lui donner provisoirement un endroit pour y mettre bas ses petits. Le berger le lui accorde. Elle le lui demande pour les élever. Il y consent. "Quand ils furent grands, fortifiée de cet appui familial, elle revendiqua la propriété du lieu. De même, dit le conseiller, ces Marseillais, qui semblaient à présent être des locataires, se rendraient un jour maîtres du pays." Pour Comanus, le terrain où se sont installés les Phocéens n'a pas été donné en dot à leur chef, mais concédé à titre précaire. Il ne veut pas qu'ils s'y établissent définitivement.

    Les Grecs refusant de partir, il décide de les en chasser. N'en ayant pas la force, il tente de l'emporter par la ruse. "Il choisit pour cet effet le jour que les Phocéens célébraient la fête de Flore. Il envoie un certain nombre d'hommes courageux qui entrent ouvertement dans la ville en vertu des droits de l'hospitalité. Il en fait conduire d'autres secrètement dans des paniers placés dans des chariots couverts de feuillages. Il se cache, lui, avec une armée derrière les montagnes afin d'être prêt à l'attaque et à surprendre de nuit la ville ensevelie dans le sommeil et dans le vin quand ceux qu'il avait envoyés à l'intérieur lui en ouvriraient les portes." C'est une adaptation de la technique légendaire du cheval de Troie.