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MARSEILLE GRECQUE : LES LÉGENDES FONDATRICES






    Ce que Justin ne dit pas, c'est la similitude de ce site avec celui de la cité-mère, au point qu'on peut les décrire l'un et l'autre presque dans les mêmes termes : un large golfe parsemé de trois îles, avec en face, du côté de la terre, une ligne quasi continue de collines arides. En décrivant Marseille sous le nom de Phocée dans un roman, Le Grand Cyrus, Mlle de Scudéry a dépeint la baie qu'elle avait vue en Méditerranée. Sa description, on l'a remarqué, convient aussi à la cité qu'elle situait dans l'Empire perse.

    Au commencement de son récit de la fondation de la colonie phocéenne, Justin a insisté sur les difficultés rencontrées par les nouveaux venus obligés de combattre pour se maintenir dans un environnement hostile. Il le termine sur la même idée. "Jaloux des progrès de la nouvelle ville, les Ligures en fatiguaient les habitants par des guerres incessantes. Mais les Grecs surent en repousser vigoureusement les attaques." La fondation de Marseille est le fruit de l'audace, du courage et de la force.

    On a tôt fait de l'oublier, car au milieu de cette affirmation répétée et en contraste avec elle, le même auteur conte une belle légende, un récit de paix, une histoire d'amour. Les Phocéens décidés à émigrer s'en vont sous la direction de Simos et de Protis jusqu'au port que certains d'entre eux avaient préalablement repéré. Il se trouvait sur le territoire des Ségobriges, possession du roi Nann. A leur arrivée, les Phocéens sollicitent son amitié. "Le hasard voulut, dit Justin, que ce roi fût, ce jour-là, dans les préparatifs du mariage de sa fille Gyptis. Il se disposait, selon la coutume de sa nation, à la donner à celui qu'elle choisirait librement pendant le festin." Les prétendants étaient tous là. On y invite aussi les Phocéens. "Le père fait entrer sa fille et lui commande d'offrir l'eau à celui qu'elle veut pour mari. Délaissant tous les autres, elle se tourne vers les Grecs et offre l'eau à Protis. Devenu gendre d'un roi dont il était l'hôte, celui-ci obtint de son beau-père un terrain pour bâtir une ville."

    Une princesse choisit son époux parmi tous les prétendants assemblés. C'est un rituel connu, qui se retrouve dans quatre des épopées les plus célèbres de la tradition indo-européenne, notamment chez Homère et chez Euripide. Les Marseillais ennoblissent leurs origines en adaptant un récit qui appartient à leur culture à leur implantation dans un pays hostile. Le choix de Gyptis explique l'inexplicable : comment des étrangers ont pu prendre pied en pays ligure et s'établir au meilleur endroit de la côte, malgré l'hostilité des possesseurs du lieu. Le mariage de la fille d'un roi, avec cession d'un territoire pour dot, satisfait la raison et l'imagination. Ce beau mariage inopiné a été une affaire concertée. Séduit par les cadeaux apportés par les Grecs lors de leur voyage de reconnaissance, le roi des Ségobriges a promis, moyennant certains avantages commerciaux de donner sa fille au chef de l'expédition et de lui concéder le port. A lui la terre que les richesses venues des Grecs lui permettront de conquérir et de dominer ; aux nouveaux venus la mer et le commerce.