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VOYAGER DANS L'ESPACE GREC






    Qui sont les Grecs ? À cette question ancienne, un livre et une exposition veulent répondre différemment. François Hartog sonde la Mémoire d'Ulysse et analyse les récits sur la frontière en Grèce ancienne. "L'espace grec" fournit le thème de l'exposition réalisée par l'École française d'Athènes à l'occasion de son cent cinquantième anniversaire. L'étude d'un imaginaire et le bilan de plus d'un siècle de fouilles dans les Balkans invitent à parcourir un même territoire pour définir une identité grecque. Mais ce n'est pas le seul point commun entre les deux entreprises. Elles s'organisent autour de l'idée d'exploration. La première a pour héros le voyageur le plus illustre de l'antiquité ; la seconde met en scène la figure contemporaine de l'archéologue. Elles partagent ensemble la leçon de Lévi-Strauss dans Tristes Tropiques : "On court le monde, d'abord, à la recherche de soi". En découvrant les autres.

    L'essai de François Hartog accompagne Ulysse dans son voyage, puis se met dans les pas de ceux qui l'ont suivi ou imité. Le lecteur parcourt ainsi toute la Méditerranée. Il va de Troie à Ithaque ; il quitte la Grèce pour les rivages de l'Italie, après s'être arrêté en Égypte. À marches forcées, il enjambe aussi les siècles. Tant il est vrai que les aventures d'Ulysse ont servi au cours des temps à se penser soi-même et à représenter autrui. Otage à Rome, rêvant de regagner Mégalopolis, sa cité natale, l'historien Polybe s'identifie au prisonnier du Cyclope. L'Odyssée inspire Virgile comme les empereurs romains en quête de leurs origines. Dans la grotte de Sperlonga aménagée par Tibère au Sud de Rome, quatre groupes sculptés représentaient la ruse et le courage d'Ulysse. Il était pour le successeur d'Auguste un meilleur ancêtre qu'Enée.

    Ulysse est pour Fr. Hartog un "homme-frontière" errant malgré lui entre culture et sauvagerie. Il témoigne à la fois de l'ouverture et de la fermeture de la civilisation grecque. Le périple de l'Odyssée n'est pas une épopée fondatrice. C'est un voyage de retour. Le récit d'Homère entraîne sur les routes du monde, mais Ulysse ne rêve que de rentrer à bon port. L'Autre, mis à distance, reste en conséquence méconnu. Pourtant, entre Grecs et Barbares, le rapport n'est pas seulement d'opposition, comme au temps du conflit des Guerres Médiques. Le Grec, s'il a du mal à entendre celui qui ne parle pas sa langue, reconnaît ce qu'il lui doit. Grâce à lui, il affirme ses valeurs. Il lui emprunte même, en la transformant, sa sagesse. De ce dialogue avec l'Egypte et l'Orient est née la philosophie. De même, l'histoire surgit de l'enquête que mène Hérodote, un Grec d'Ionie, sur l'Empire perse.