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KÉRYLOS OU LES CHARMES DE LA GRÈCE À LA BELLE ÉPOQUE






    Dans ses mémoires, Propos d'un solitaire, Pontremoli raconte qu'il a accepté "avec un battement de coeur cette idée séduisante, sans se dissimuler les difficultés". Elles ne furent jamais financières. L'architecte bénéficia d'un budget quasi illimité. L'ensemble - pour lequel fut mise à contribution la fortune d'Evelyne Kahn, l'épouse de Théodore Reinach - coûta neuf millions de francs-or. De même, le commanditaire laissa à son architecte une liberté complète d'exécution. Pontremoli conçoit "une maison méditerranéenne" avec cour intérieure et colonnade, le péristyle grec. Ce n'est pas "un vague pastiche, mais la réalisation, en notre temps, d'une pensée valable pour tous les temps". Au-delà d'un exercice de style, il s'agit de puiser dans le message universel de l'Antiquité pour renouveler l'architecture contemporaine. La distribution des pièces autour d'une cour carrée reprend celle du De architectura de Vitruve. On entre dans la maison par un thyrôreion, un vestibule fermé à ses deux extrémités où le portier avait sa loge. Selon la recommandation des urbanistes de l'Antiquité, la bibliothèque est située à l'Est, à l'abri du soleil et l'on découvre, au Sud, les pièces à vivre : triklinos, andron et oikos. À l'étage, se trouvent les appartements du maître et les chambres. Une tour avec terrasse couronne le tout et lui donne son élan. Cette forme n'est pas étrangère à l'architecture domestique grecque. Elle rappelle surtout qu'à Beaulieu est vivant le souvenir de Pergame. Ici et là, il a fallu composer avec un terrain trop petit et escarpé, sur lequel s'accrochent en s'étageant les constructions.

    La surface habitable de Kérylos, 1500 m2, est modeste si on la compare à celle de la Maison du Faune de Pompéi qui en offre le double. Elle est importante, quand on sait que l'emprise au sol d'une riche demeure dépasse rarement 300 m2 dans l'île d'Apollon. Ouverte sur la mer et non repliée sur elle-même, Kérylos emprunte peu aux maisons déliennes. On le croit parce que leur meilleur spécialiste, Joseph Chamonard, les a fouillées au moment où se concrétisait le rêve de Reinach. Cette illusion est confortée par le guide de la villa. L'ami de Pontremoli a rédigé en 1934 un ouvrage qui est un véritable " à la manière de " la publication archéologique. Reste que Délos est présente à Beaulieu, mais elle l'est par le biais de la citation et du clin d'oeil, par motif interposé comme celui de la mosaïque du trident. C'est, de même, le seul intérieur qui puise au répertoire décoratif des maisons de Pompéi : il est peuplé de copies d'objets et de statues exposés au Musée de Naples. L'oeuvre de Pontremoli, attentive à ménager une place suffisante aux communs, aux cuisines et aux dispositifs d'aération ou de chauffage, se passe en définitive de modèle antique. Le "château Reinach", comme l'appelèrent de méchants esprits, est ancré dans la modernité : celle d'une résidence balnéaire, qui à la Belle Époque, sous le masque des répliques antiques, hésite entre art-déco et esprit viennois.

    Hervé Duchêne