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DELPHES, (Temple de) Hist. anc. Littér. Il n'y a personne qui n'ait ouï parler du temple de Delphes, de ses richesses, des révolutions qu'il a essuyées, des oracles qui se rendaient dans son sanctuaire, enfin du nombre prodigieux de gens destinés au service de ce temple. Empruntons ici les lumières des savans, pour rassembler avec ordre sous un point de vue, tous ces faits célébrés par les Poètes, et trop dispersés dans l'histoire.
Le premier temple d'Apollon à Delphes, si l'on en croit les anciens, fut construit de branches de laurier entrelacées, qu'on apporta de la vallée de Tempé. Ce temple avait précisément la forme d'une cabane, et le laurier était particulièrement consacré à Apollon ; il se l'appropria lorsque Daphné, ses premières amours, fut métamorphosée en cet arbre.
Ce temple rustique ayant été détruit, des abeilles, selon la tradition populaire, en formèrent un autre avec leur cire et des plumes d'oiseaux. Quelques-uns aiment mieux supposer que ce second temple avait été construit d'une plante appelée, espèce de fougère ; mais je préférerais à cette opinion celle des auteurs qui ont écrit que ce temple avait été l'ouvrage d'un habitant de Delphes nommé Ptéras ; qu'il avait porté le nom de son fondateur, et sur l'équivoque du mot ptéra, qui signifie des ailes, on avait feint que les abeilles l'avaient construit avec des ailes d'oiseaux.
Le troisième temple se ressent bien encore du récit fabuleux. Il était, dit-on, l'ouvrage de Vulcain, qui, pour le rendre plus durable, l'avait fait d'airain, et avait placé sur son frontispice un groupe de figures d'or qui charmaient les oreilles par d'agréables concerts. Pausanias se déclare contre cette tradition, et observe que ce ne serait pas grande merveille qu'Apollon eût eu un temple d'airain, puisqu'Acrisius roi d'Argos fit faire une tour de ce métal pour enfermer sa fille. On ne sait pas trop de quelle manière ce temple d'airain fut détruit : les uns prétendent qu'il fut abysmé dans un tremblement de terre ; d'autres, qu'il fut consumé par le feu. Disons plutôt, avec M. Hardion, qu'il disparut à-peu-près comme les palais enchantés de nos Nécromanciens.
Le quatrième temple exista réellement, et fut bâti tout de pierre la première année de la cinquième olympiade, par Trophonius et Agamedès excellents architectes. Apollon, au rapport d'Homère qui embellit tous les sujets qu'il traite, en jeta lui-même les fondements. Ce beau temple s'embrasa dans la cinquante-huitième olympiade, 548 ans avant l'ère vulgaire.
Le cinquième fut construit 513 ans avant J. C. environ 44 ans après que celui de Trophonius et d'Agamedès eut été brûlé. Les Amphyctions, ces juges si célèbres de la Grèce, qui s'étaient rendus les protecteurs de l'oracle de Delphes, se chargèrent du soin de rebâtir ce cinquième temple. Ils firent marché avec l'architecte (c'était un Corinthien nommé Spinthare) à 300 talents, environ soixante mille louis. Toutes les villes de Grèce furent taxées, et Amasis, alors roi d'Épire, donna pour sa part mille talents d'alun. Les Alcméonides, famille puissante d'Athènes, chassés de leur patrie par les Pisistratides, vinrent à Delphes en ce temps-là, et s'offrirent de conduire l'édifice : ils le rendirent beaucoup plus magnifique qu'on ne se l'était proposé dans le modèle. Entre les autres embellissements qu'ils ajoutèrent, ils firent à leurs dépens un frontispice de marbre de Paros. Le reste du temple était d'une pierre qu'Hérodote appelle, qui est peut-être la même que le porus de Pline, espèce de pierre blanche, dure comme le marbre de Paros, mais moins pesante.
Il n'est pas possible de détailler les offrandes dont les divers temples de Delphes furent successivement enrichis. Ces trésors ont été si vantés, que les Grecs les désignoient par le seul mot, le palais des richesses. Ces richesses ne consistaient néanmoins dans les commencements qu'en un grand nombre de vases et de trépieds d'airain, si l'on en croit Théopompe, qui nous assure qu'il n'y avait alors aucune statue, pas même de bronze. Mais cette simplicité ne dura guère ; les métaux les plus précieux y prirent bientôt la place de l'airain. Gygès roi de Lydie fut le premier qui fit au temple de Delphes des offrandes d'une très grande quantité de vases d'or et d'argent ; en quoi ce prince fut imité par Croesus son successeur, par plusieurs autres rois et princes, par plusieurs villes, et même par plusieurs riches particuliers, qui tous comme à l'envi les uns des autres y accumulèrent par monceaux trépieds, vases, boucliers, couronnes, et statues d'or et d'argent de toutes grandeurs. Nous dirons, pour les évaluer en bloc, que dès le temps de Xerxès on faisait monter les trésors de Delphes aussi haut que ceux de ce souverain des Perses qui couvrit l'Hellespont de ses vaisseaux, et qui envahit la Grèce avec une armée de 600 mille hommes.
Ne soyons pas surpris que des trésors si considérables aient excité successivement la convoitise et la cupidité des rois et des nations. Le premier qui tenta de s'en rendre maître, fut un fils de Crius roi des Eubéens : cet événement est si ancien, qu'il n'est pas possible d'en fixer l'époque. Le second pillage se fit par Danaüs roi d'Argos, qui étant entré à main armée dans la Grèce, vola et brûla le temple de Delphes, l'an 1509 avant J. C. Ensuite les Dryopes s'emparèrent des richesses du temple d'Apollon, sous la conduite de Phylas leur roi : Hercule défit ce roi, et le tua l'an 1295 avant J. C. Phlégias frère d'Ixion et roi des Phlégiens, fut le quatrième qui pilla le temple de Delphes, environ 1295 ans avant N. S. Soixante et dix-huit ans après, Pyrrhus fils d'Achille, tenta la même dépouille. Les Crisséens portèrent leurs mains impies sur les richesses du même temple, 605 ans avant J. C. Le fameux Xerxès, l'an 480 av. N. S. envoya à Delphes un détachement de son armée formidable, avec ordre de piller le temple d'Apollon, et de le détruire : mais son entreprise ne réussit pas.
Les Phocéens proches voisins de Delphes, pillèrent le temple à trois différentes reprises, dont la première s'exécuta 365 ans avant l'ère chrétienne. Les Gaulois qui n'avaient pas moins d'avidité que les Phocéens, tentèrent deux fois le même projet : la première fois l'an 279 avant J. C. sous Brennus qui y fut tué désespéré d'avoir manqué son coup : et la seconde fois 114 ans avant N. S. avec un succès plus heureux, mais non pas sans avoir perdu beaucoup de monde à cette expédition. Trente ans après, c'est-à-dire 84 ans avant l'ère vulgaire, les Thraces portèrent leurs mains sacrilèges sur le temple de Delphes, et le brûlèrent l'an 670 de Rome.
Enfin l'an 819 de la fondation de cette capitale du monde, Néron voyageant en Grèce n'oublia pas de visiter le temple d'Apollon ; et y ayant trouvé à son gré 500 belles statues de bronze, tant d'hommes illustres que de dieux, il les enleva, les chargea sur ses vaisseaux, et les emporta avec lui à Rome. Ce sont là les principaux pillages qu'essuya le fameux temple de Delphes ; avant et même depuis la cessation de ses oracles.
On conçoit bien qu'un temple de cet ordre demandait un grand nombre de ministres pour le desservir, et jamais son autel n'en manqua. Il y avait d'abord plusieurs collèges de devins ; cinq sacrificateurs perpétuels en chef qui immolaient les victimes, faisaient passer la sacrificature à leurs enfants, et avaient sous eux quantité de sacrificateurs subalternes ; un nombreux cortège de grands et de petits prêtres étaient chargés, les uns du dehors, et les autres de l'intérieur du temple : ceux qui passaient pour être les mieux instruits de ses antiquités, les expliquaient aux étrangers, et leur montraient soigneusement toutes les offrandes que la piété des peuples avait consacrées ; ils leur apprenaient par qui telle statue, tel tableau avait été envoyé, quel en était le statuaire ou le peintre, dans quel temps et à quelle occasion on l'avait envoyé.
A l'entrée du sanctuaire habitait le gardien de l'or d'Apollon ; emploi de confiance, mais des plus étendus et des plus pénibles. Les prophètes désignés pour accompagner la Pythie dans le sanctuaire, et pour être assis autour du trépied sacré, tenaient un des premiers rangs entre les ministres d'Apollon, parce que c'était à eux que l'on adressait les demandes, et que c'était d'eux que l'on recevait les réponses de l'oracle.
En sortant du sanctuaire se trouvaient les femmes consacrées au service du dieu, et qui se rangeaient en haie sur le perron ; pour empêcher que les profanes n'approchassent du trépied. D'autres prêtresses étaient occupées à la garde et à l'entretien du feu sacré qui brûlait jour et nuit. Il y avait encore des hommes et des femmes préposées uniquement pour les bains et les purifications du temple.
Si nous ajoutons à tout ce monde, les joueurs d'instruments, les hérauts qui annonçaient les festins publics, les choeurs de jeunes garçons et de jeunes filles choisis pour chanter les louanges, et pour danser les danses en usage dans le temple d'Apollon, nous conclurons sans peine que la plus grande partie des habitants de Delphes étaient employés à le servir.
Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.
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