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Aux cadres mentaux, A. Grandazzi préfère la vérité des paysages, telle qu'elle ressort d'une recherche philologique moderne. Le nom des collines de la ville de Romulus fait ressurgir sur le Mont Caelius une forêt de chênes, sur le Fatugal des hêtres et sur le Viminal des plants d'osier. La déesse Palès régnait alors sur le Palatin et la vie pastorale, tandis que l'Esquilin se situait étymologiquement "à l'extérieur" de la communauté primitive. Tout comme "de l'autre côté du fleuve, le Janicule, marquait encore le lieu du passage, placé comme tel sous l'égide du dieu Janus, vers l'étranger". Dans la fortune de Rome, il faut compter en outre avec les marais salants près d'Ostie, à "l'embouchure" du Tibre sur la mer. Nécessaire à l'alimentation des hommes et des bêtes comme à la conservation des aliments, le sel joua un rôle majeur dans le rapport entre la cité et le fleuve. La toponymie ne l'a pas oublié. La via Salaria, sur la rive gauche, aboutissait à Rome, et la via Campana sur la droite, la route du "Campus Salinarum", celle menant aux salines, partait de Rome. Sur le Tibre que l'on devait franchir, la ville était une étape "incontournable" dans l'approvisionnement en sel des montagnards. L'évidence d'un site assure que Rome n'aurait pas pu ne pas être.
Mais quand l'est-elle vraiment devenue ? Depuis le geste de Romulus traçant au Palatin le pomerium, la fortification constituant la limite sacrée de la nouvelle ville. Pour l'établir, A. Grandazzi dresse un admirable tableau d'un Latium archaïque soumis aux influences grecque et étrusque, ouvert aux apports phéniciens et transformé par un "processus de densification et d'agrégation démographiques". Il rend compte enfin, avec une clarté exemplaire, de l'exploration très récente d'une zone, au pied du Palatin, sur le Forum, entre l'Arc de Titus et la maison des Vestales. On y a découvert, sous plusieurs niveaux d'habitations d'époque républicaine, les vestiges de trois murs archaïques successifs reprenant chacun, presque exactement, le tracé d'un mur plus ancien doublant à quelques mètres une palissade de bois. Ce premier état se date selon les fouilleurs des années 730-720 avant notre ère. Comment ne pas le rapprocher de la tradition romuléenne ? Comment ne pas penser à la date de 754/3 communément donnée pour la naissance de Rome et transmise par "les voies de la mémoire" ? Avec prudence, les Romains disaient le plus souvent "ab Urbe condita", depuis la fondation de la Ville, en employant un verbe signifiant aussi bien "établir" que "cacher". C'était sentir que les débuts sont aussi de l'ordre du mystère.
Hervé Duchêne
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