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LA FONDATION DE ROME






    Pour ses Promenades dans Rome, Stendhal ne voyait guère l'intérêt d'un récit des origines de la ville éternelle. S'il l'avait fait - par devoir pour ses amis -, il invitait "la plupart des lecteurs à sauter cinq ou six pages" ! Les premiers temps de l'Urbs, écrivait-il, "ne sont guère moins prouvés ou plus romanesques que tout ce qu'il est d'usage de croire au collège sur l'histoire de France".

    Le livre d'Alexandre Grandazzi veut démontrer le contraire et entraîne à la découverte passionnante d'un site où se rencontrent désormais textes et monuments. Par leur nombre et leur richesse, les trouvailles archéologiques de ces dix dernières années ont renouvelé de façon spectaculaire notre connaissance de la Rome primitive. Mieux, elles ont donné une valeur documentaire à une tradition littéraire, trop longtemps considérée comme un précieux, mais souvent inutile, réservoir de mythes. Confrontant à son tour les auteurs classiques et les données du terrain, l'historien, aujourd'hui réconcilié avec Varron et Tite-Live, peut situer, vers la seconde moitié du huitième siècle avant notre ère, sur la colline du Palatin, l'événement que fut la naissance de Rome. La légende de Romulus ne se réduit pas à une belle histoire ; elle est au centre des Primordia Romana, ces commencements de Rome sanctifiés par un acte unique de fondation et pourtant liés au développement continu d'un milieu, le Latium.

    Dans la lignée de la Dissertation sur l'incertitude des cinq premiers siècles de Rome, publiée en 1738 par Louis de Beaufort, ce nouveau discours des origines pratique avec alacrité le doute méthodique. Alexandre Grandazzi dépoussière la bonne vieille philologie, se tient à distance des archéologues trop enthousiastes et conteste - avec quelques bonnes raisons dans l'air du temps - l'étude faite par Georges Dumézil de l'héritage indo-européen romain. L'ensemble est plus sagement construit en trois parties dont les titres sont autant de clins d'oeil à la culture d'un brillant khâgneux : "Prolégomènes à toute histoire future des origines de Rome qui pourra se présenter comme science", "Aurore", "Et Rome devint une ville...". Peu importe. L'auteur excelle dans chaque chapitre à mettre à la portée de tous les résultats de recherches spécialisées. Comme Enée guidé au chant VIII de L'Enéide par Evandre sur les lieux de la future Rome, le lecteur participe à "cette véritable épopée de la connaissance" écrite à plusieurs mains.

    Bien avant les premières révélations de l'archéologie au début de ce siècle, triomphaient déjà, chez des philologues comme Théodore Mommsen ou Ettore Pais, des thèses "hypercritiques". Romulus et Remus, comme la louve nourricière, étaient autant de fables inventées après coup pour justifier le prestige d'une famille et la grandeur d'une nation. La pioche des archéologues montra vite d'ailleurs que dès l'âge du bronze, le gué du Tibre protégé par les collines environnantes avait attiré des hommes. Il fallait se résoudre, comme le fit G. Dumézil, à trouver un sens caché aux traditions littéraires sur la Rome des rois.