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Ce guide attentif, érudit et enjoué, invite à une découverte immense : d'Alexandre à Justinien, plus de huit siècles de création littéraire. A l'étroit dans le cadre de la cité, cette littérature différente - mais respectueuse des canons classiques qu'elle ne cessa de vouloir imiter - a pour domaine le territoire des royaumes hellénistiques et de l'Empire romain. Sans le talent d'architecte de J. Sirinelli et sa science d'helléniste, il serait facile de se perdre dans ce maquis de livres et ce foisonnement d'auteurs. Mais informé des liens entre l'histoire et les textes, le lecteur se laisse prendre par une aventure intellectuelle qui commence avec la fondation de la Bibliothèque d'Alexandrie et se termine avec la fermeture de l'école platonicienne d'Athènes par l'Empereur Justinien en 529. Durant cette période exceptionnellement riche, la culture païenne atteint son apogée. Elle n'est pas encore sur le déclin que déjà est montée la sève des plus grandes oeuvres du christianisme.
On peut préférer Démosthène à Libanios (314-393) - qui en bon professeur s'appliqua à le faire comprendre - et ne jurer que par les trois grands tragiques. Encore faut-il faut savoir que nous devons aux savants de l'époque hellénistique et impériale le soin d'avoir imaginé les recueils des ouvrages qui forcent notre admiration : les chants d'Homère, les neuf livres des Histoires d'Hérodote, mis chacun sous la protection de l'une des neuf Muses, les sept tragédies d'Eschyle. La méditation sur les modèles, l'exégèse des chefs-d'oeuvre, le classement par genres favorisèrent parallèlement un épanouissement des formes les plus diverses. Les bibliothèques devinrent de grands laboratoires d'écriture expérimentale. On songe aux expériences menées par les "grands rhétoriqueurs" ou à celles de l'Oulipo.
L'approfondissement de la connaissance des textes passés provoquait dans le même temps leur mise à distance. C'est alors que la littérature se constitua en un champ d'études autonome. Elle se caractérisa par l'idée de code rhétorique ; elle commença à définir la notion d'écart. Ces auteurs tardifs, longtemps décrits comme des compilateurs maladroits ou des cuistres sans imagination, savaient que seul un travail de réécriture leur permettrait de se dégager de la tradition et de fonder leur originalité.
Ce regard distancié débouche sur une anthropologie nouvelle. La vieille opposition entre Grecs et barbares n'a plus le même sens après les conquêtes du souverain macédonien. Tout en se découvrant universelle, la culture hellénistique n'oublie pas non plus les individus. Ils ne sont pas encore égaux, mais ils ont des passions communes et des comportements identiques. C'est alors que se développeront le roman et la biographie, que naîtra l'autobiographie. Les enfants d'Alexandre auraient pu être de sages rentiers, faisant fructifier leur héritage. Ils ne sont pas contentés de répéter la leçon des grands anciens. Ils ont eu toutes les audaces, parce qu'ils refusaient d'être des néo-classiques. Condamnés pour leur prétendue froideur, ces fils prodigues méritaient qu'on leur fît fête. Jean Sirinelli a su les accueillir avec chaleur. Mieux, il nous prépare à les recevoir.
Hervé Duchêne
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