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LES GUERRIERS DU MONDE ANTIQUE






    Après avoir animé bien des querelles, "la révolution hoplitique" est terminée. Qui doute encore que l'apparition de l'armement lourd de l'hoplite - celui qui porte le bouclier rond - et la formation en phalange des soldats-citoyens aient été un fait majeur dans l'histoire de la Grèce des cités ?

    Voilà le constat que dressent, pour le dépasser, Victor Hanson et François Lissarague. Le premier, dans un essai sur Le Modèle occidental de la guerre, s'interroge sur les conditions réelles de la bataille. Le second, dans une thèse sur L'Autre guerrier, scrute l'iconographie attique des archers, peltastes et cavaliers. Tous deux renouvellent nos points de vue sur le combattant grec.

    Hanson, qui soigne son vignoble quand il n'enseigne pas à l'Université de Californie, a le sens des réalités. Les petits propriétaires fonciers, qui formaient le gros des troupes, n'acceptaient le choc des phalanges que pour limiter la guerre. Mieux valait cet affrontement terrible, mais unique, que la tuerie et le ravage du territoire. Pour Hanson qui cultive aussi le paradoxe, ce qui paraissait un mal absolu, la dévastation, n'avait pourtant que des effets limités. Vignes et oliviers résistent aux pires traitements. Périclès comprit d'ailleurs l'avantage qu'il y avait à se tenir derrière les remparts de sa ville en défiant l'ennemi de ruiner les richesses de son sol. Pour combattre, la bataille rangée d'infanterie resta toutefois le modèle. L'Occident en hérita sans le remettre en cause. C'était avant les tranchées de Verdun et la jungle du Viet-Nam.
    Les Grecs dans un conflit armé se soumettaient à un ensemble de conduites ritualisées que décrit bien Hanson. La concentration sur quelques-uns d'une violence extrême de courte durée servait à épargner le plus grand nombre.

    Rien - ce qui ajoute à l'horrible - ne survenait par hasard. Les deux camps, à un moment mutuellement défini, s'engageaient dans un heurt décisif où les cadavres laissés sur le champ de bataille donnaient la victoire. Hanson ne s'arrête pas là. Il fait ressentir l'hallucinante souffrance des hoplites. Tous - même les plus âgés - supportent le fardeau égal de trente kilos d'armes : casque, cuirasse, bouclier, épée et lance. Personne n'ignore la peur. La colique rabat toutes les fiertés. L'alcool sert à oublier. Si l'on ne quitte pas son rang, c'est parce que le stratège veille et pour protéger son voisin qui appartient à la même tribu. Chacun sait enfin que tout se jouera en quelques minutes et que les morts seront nombreux dans la phalange enfoncée. Sans compter les blessés, elle perdra quinze à vingt pour cent de ses effectifs. "La terre rougie de sang" n'est pas une exagération de poète.

    Fr. Lissarague a choisi, lui, d'étudier un millier d'images représentant la guerre sur la céramique attique des VIe et Ve siècles avant notre ère. Dans cet ample corpus, il ne cherche pas de réponses aux questions posées par les textes antiques. Il se met à l'écoute du langage des peintres-imagiers pour en saisir la différence, la cohérence et la diversité. Des motifs se repèrent ; des séries s'organisent : départs et retours du guerrier, combats, divination. Une vision héroïque organise cet univers imaginaire. "Entre l'armée des citoyens et le héros combattant, l'iconographie attique privilégie manifestement ce dernier". Dans la cité des images, l'hoplite, ignorant presque le choc des phalanges, livre surtout des duels.

    Pour comprendre cette figure exemplaire, il faut la confronter aux autres types de guerriers que l'imagerie des vases athéniens lui associe ou lui oppose. Archers scythes, cavaliers thraces ou peltates avec leur bouclier en forme de croissant entraînent aux confins du monde grec, introduisent à d'autres formes de combat ou servent à mettre en scène ceux qui demeurent en marge de la guerre : femmes, adolescents et vieillards. C'est dire que la gloire et la beauté du fait d'armes s'inscrivent dans le cadre d'un débat sur les valeurs de la "polis".

    Hervé DUCHENE


    V. Hanson, Le Modèle occidental de la guerre, La bataille d'infanterie dans la Grèce classique, Les Belles Lettres, 1990.
    Fr. Lissarague, L'Autre guerrier, Archers, peltastes et cavaliers dans l'imagerie attique, La Découverte/Ecole Française de Rome, 1990.