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La cité classique en équilibre
Aux Ve et IVe siècles avant J.-C., la cité grecque se présente sous bien des formes ; les Anciens les ont cataloguées en termes qui se sont transmis jusqu'à nous : les mots oligarchie, aristocratie, démocratie, sans parler de monarchie sont des mots grecs. Mais il ne faut pas être dupe des mots : les contenus sont spécifiquement helléniques. Et, d'autre part, quelle que soit la diversité des constitutions - diversité que ces catégories, pour les Grecs eux-mêmes, étaient loin d'épuiser - il y a une certaine unité de structure, un schéma d'organisation qui est commun aux différentes cités.
Il est conditionné, d'abord, par la réalité démographique et par le niveau de l'économie. La cité grecque est une petite chose ; pour Aristote, une société de cent mille membres serait un monstre. Souvent, c'est quelques centaines de participants. Il y a sans doute des cités qui vont beaucoup plus loin - Athènes surtout. C'est question de territoire (le maximum étant une moitié de département français), et aussi de développement urbain. Car la cité comporte une ville, qui n'est d'ailleurs pas privilégiée. La ville peut être réduite à sa plus simple expression : c'est essentiellement un centre, et de vie politique justement. Elle peut aussi s'enfler, dans les places de commerce ; mais cette espèce d'excroissance n'est guère sentie encore comme affectant la nature de la cité. De toute façon, l'horizon est restreint ; souvent tout le monde peut se connaître : c'est un groupe très concret. Dans ce monde-là, on vit en somme, pauvrement. La production n'est pas sollicitée par les besoins qui ne seraient pas, si on peut dire, dans le ton de la vie hellénique. C'est une production, avant tout agricole, et largement de faire-valoir direct ; l'industrie est médiocre, la technique ne progresse pas, et c'est se moquer que de parler d'entreprises capitalistes. Il y a, il est vrai, un élément de modernité : c'est l'importance - relative - du commerce maritime et de la banque. Mais ils sont en marge et souvent exercés par des non-citoyens. D'une manière générale, l'économique, comme nous dirions, n'intéresse pas l'homme grec - voire, il est méprisé par lui. Les représentations politiques ne le comportent pas comme élément conscient ou implicite.
(...) Pour que le citoyen le soit pleinement, il faut que sa participation à la chose publique soit une participation active. Cela fait partie de sa noblesse, qui est d'être gouvernant et non pas gouverné. Il n'est pas question qu'il ait des représentants ou, comme nous dirions dans un langage anachronique, qu'il délègue, sa souveraineté : il faut qu'il assume lui-même les fonctions de l'État qui sont, dans une théorie expresse : le pouvoir de délibération, c'est-à-dire le pouvoir de décision qui est notamment celui de l'assemblée ; le pouvoir de commandement, c'est-à-dire l'exercice de la magistrature, amenuisée d'ailleurs et "circulante" par définition ; le pouvoir de justice enfin, qui a pour organe en particulier les jurys populaires.
Louis Gernet, Les Grecs sans miracle, Paris, La Découverte, 1983, p. 66-68.
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