Bandeau















L'ORACLE DE DELPHES






    DELPHES (Oracle de), Myth. Hist. Littér. le plus fameux de tous les oracles du paganisme, et qui devint, pour ainsi dire, l'oracle de toute la terre ; il précéda le règne de Cadmus, et était même établi avant le déluge de Deucalion.

    Diodore de Sicile, Strabon, Pausanias, et Plutarque, racontent que des chèvres qui paissaient dans les vallées du mont Parnasse, s'étant avancées vers une espèce d'antre peu connu, firent des bonds étonnants, et poussèrent des cris extraordinaires. Bientôt les pâtres, les villageois, et tous les habitants du lieu, furent à leur tour saisis des mêmes mouvements, et se persuadèrent que quelque dieu était venu se cacher dans le fond de l'abyme, afin d'y rendre ses oracles. On attribua d'abord l'oracle à Neptune et à la Terre ; de la Terre, l'oracle passa à Thémis sa fille : ensuite elle s'en démit en faveur d'Apollon, qu'elle chérissait particulièrement. Enfin celui-ci par ses lumières dans la science de deviner, à laquelle il s'appliqua dès sa plus tendre jeunesse, demeura maître de l'oracle, et l'éleva au plus haut point de célébrité. Le singulier de ce détail fabuleux, est qu'on le puise dans les Historiens comme dans les Poètes.

    Apollon fut donc le dernier possesseur de l'oracle de Delphes, et s'y maintint avec plus ou moins de gloire, suivant les conjonctures, le degré de superstition des peuples ou de l'industrie des prêtres, jusqu'au temps que les Thraces pillèrent son dernier temple, et le brûlèrent vers l'an 670 de la fondation de Rome. Pendant ce long espace de siècles, le temple d'Apollon regorgea de présents qu'on y envoyait de toutes les parties du monde. Les rois, les potentats, les républiques, et les particuliers, n'entreprenaient rien qu'ils ne l'eussent consulté ; tout ce qu'il y avait d'habitants à Delphes travaillaient à l'envi à lui procurer des consultations, et à lui attirer les étrangers, afin de leur vendre les oracles au prix des plus somptueux sacrifices et des plus magnifiques offrandes ; tous étaient occupés ou de l'entretien du temple, ou des sacrifices, ou des cérémonies qui concernaient les oracles ; tous briguaient avec zélé l'honneur d'être les ministres d'un dieu qui les comblait chaque jour de nouveaux bienfaits. Voyez l'article précédent.

    Parmi ces ministres se distinguaient ceux qu'on nommait les prophètes. Ils avaient sous eux des poètes, qui mettaient les oracles en vers ; car il n'y a eu que de courts intervalles de temps où on les rendit en prose. L'antre d'où sortaient les oracles, était situé vers le milieu du mont Parnasse, du côté qui regardait le midi : c'étaient les prophètes qui recevaient les paroles de la Pythie ; elle montait sur le trépied sacré pour rendre les oracles du dieu, quand il voulait bien se communiquer aux hommes : mais les oracles qu'elle prononçait n'étaient point faits pour le plaisir des oreilles, ni pour porter dans l'âme cette tendresse qu'excitaient les poésies de Sapho. La voix de la Pythie, dit Plutarque, atteignait jusqu'au-delà de dix siècles, à cause du dieu qui la faisait parler. Voyez PYTHIE.

    C'est à l'oracle d'Apollon que la ville de Delphes dut sa naissance et son agrandissement ; elle lui dut sa réputation, et ce grand éclat qui la fit regarder comme le centre de la religion, comme le séjour favori des dieux. Quoique cette ville n'eut que des précipices et des rochers pour pourvoir à ses besoins, l'oracle d'Apollon lui tenait lieu des plus riches coteaux et des plaines les plus fertiles : mais ce dieu n'était pas toujours en humeur de le rendre ; d'ailleurs il était très friand de sacrifices, et très difficile à cet égard. Si l'on entrait dans le sanctuaire de son temple sans avoir sacrifié, le dieu était sourd, la Pythie était muette. Voyez sur cette matière, Plutarque ; les mém. de l'acad. des Inscript. Van-Dale, de oraculis Ethnicorum, et l'histoire des oracles de M. de Fontenelle. J'ai parcouru tous ces ouvrages la plume à la main ; et le faisant dans les mêmes vues que Montagne, je pratique sa méthode : "Ce que je lis je m'en dégorge, non sans dessein de publique instruction, je prête attentivement l'oreille aux livres de ce genre, en guettant si j'en puis friponner beaucoup de choses pour émailler ou étayer celui-ci".

    Article de M. le Chev. DE JAUCOURT.