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LES CONFÉRENCES DU JEUDI 25 OCTOBRE 2001






    Monique Roussel (Université de Bourgogne), "Les voyages extra-terrestres chez Lucien".

    Tout comme Lucien a convié ses lecteurs aux Enfers dans les Dialogues des morts, il les emmène vers les régions supra-terrestres dans Icaroménippe et dans l'Histoire véritable.

    Les aspects concrets du voyage lui-même allient réalisme et merveilleux. C'est pour une part un voyage comme les autres, avec les préparatifs de départ concernant les hommes, les provisions, les armes, la qualité du bateau ; durant le trajet on note le besoin de se reposer, de refaire ses provisions ; on dénombre parfois les pertes d'hommes. Le narrateur donne pour chaque étape des précisions d'ordre chronologique et spatial.
    Parallèlement intervient le merveilleux du "voyage dans les airs" : dans l'Histoire véritable c'est le résultat d'un accident de parcours : une tempête particulièrement forte arrache le vaisseau à la mer  ; dans Icaroménippe, c'est l'ingéniosité du personnage de Ménippe qui lui permet d'accéder au ciel.

    Les découvertes faites par les voyageurs, si l'on s'en tient au premier degré du récit, vont au-delà de ce que pouvait espérer leur curiosité il apparaît en effet que tel était le mobile de leur expédition. Ils découvrent des êtres étranges, des pratiques surprenantes, mais aussi des comportements qui renvoient aux habitudes des humains, habitudes que Ménippe, de son côté, a la faculté de regarder d'en haut.

    Par delà ces récits piquants, c'est un large aperçu de l'héritage grec que nous offre Lucien. Le lecteur reconnaît l'écho de croyances mythologiques, de conceptions philosophiques, de théories cosmologiques véhiculées à travers les siècles ; il retrouve les grands auteurs de l'Antiquité auxquels fait constamment référence Lucien, notamment Homère avec les étranges rencontres d'Ulysse, Hérodote et ses enquêtes à caractère historique, géographique et ethnologique, Thucydide et Xénophon pour les récits de bataille ou les traités, sans oublier Aristophane, maître en fantaisie.

    Le récit laisse deviner aussi la position de Lucien face à cet héritage. Il adopte souvent une attitude critique : il dénonce la crédulité et la superstition, tourne en ridicule la comédie humaine, signale les inégalités sociales, met en évidence la relativité des choses et exprime son scepticisme à l'égard des doctrines philosophiques. Les notes positives se trouvent apparemment du côté de l'attachement à la patrie, à la famille et à la pratique de l'hospitalité. S'y ajoute le bagage littéraire : on sent chez Lucien la jubilation de l'homme cultivé qui vit en connivence avec les grands maîtres dans le plaisir subtil que procure la parodie.

    A travers ces récits fictifs de voyages dans l'espace, c'est du monde grec que nous parle Lucien, de ses croyances, de ses conceptions scientifiques et philosophiques, de sa tradition littéraire. Il porte sur tout cela son regard sceptique de lettré du second siècle de notre ère, qui invite à prendre tout le recul nécessaire vis-à-vis de cet héritage.